vendredi 26 mars 2010

POUR UNE SPIRITUALITÉ RÉPUBLICAINE ZEN


Le philosophe et homme politique Vincent Peillon, nous a fait redécouvrir avec intérêt l'approche de la laïcité de Ferdinand Buisson. Prix Nobel de la paix en 1927, ce dernier a tenté d'instaurer une religion de l'humanité, une spiritualité laïque et dirigea l'écriture d'une véritable "bible de l'école laïque et républicaine". Aujourd'hui, cette démarche est à plus d'un titre exemplaire car elle montre qu'à la base de l'instauration de notre République, il y avait une inspiration philosophique et idéologique basée sur une dimension spirituelle indispensable à l'homme, que l'on a tendance à oublier et qui s'est lentement essoufflée. Ce qui semble cependant assez surréaliste, c'est la figure du "Christ républicain" qu'il a promue et qui aujourd'hui est peut-être obsolète, car basée sur un véritable oxymore...
La figure de Bouddha serait-elle aussi incongrue accollée à l'idée de République? Toujours est-il que les préceptes bouddhistes sont parfaitement laïques et aident à nous connecter à notre véritable nature. Le corps et l'esprit sont alors unifiés dans la pratique de l'octuple sentier. La reconnaissance des lois de l'interdépendance, de l'impermanence et de la vacuité permettent de respecter chaque être vivant et de développer altruisme bienveillance et compassion. Ces bases spirituelles pourraient servir de fondations à une pratique de la pédagogie basée sur le développement, non seulement de l'intellect, mais aussi du corps (le nôtre, mais aussi celui de l'autre), de l'inconscient, de l'intuition, de la méditation. Autant de dimensions à explorer pour faire des citoyens civilisés et responsables.

jeudi 25 mars 2010

S'IL N'Y A QUE DU LANGAGE...


"S'il n'y a que du langage la mère est un mot et son sens c'est le père"
Guy Massat, "Psychanalyse et mythologie"

Cette phrase s'est tout d'abord posée comme une énigme. Puis je me suis rappelé cette dissymétrie que pose la psychanalyse entre les fonctions maternelle et paternelle. Mère est alors posé comme mot, signifiant replié sur lui-même, sans ouverture sur un quelconque sens puisqu'il représente cette complétude originelle hors sens, hors toute chaine signifiante. Le Père vient ensuite poser cette coupure symbolique faisant naître le sens et donc le désir..."

vendredi 12 mars 2010

Les banksters


Extraits de l'article de J. Cl. Guillebaud dans le TéléObs du 4 mars 2010: "Violences à l'horizon", en réaction à l'émission "C dans l'air" de Yves Calvi du 19 février 2010

"(...) Rappelons que le "Petit Robert" donne du mot "prévarication" une définition qui n'implique pas forcément l'illégalité. Venu d'un mot grec qui signifie "abandon de la loi divine", le substantif désigne un acte de mauvaise foi commis dans une gestion. A ce titre, les dirigeants de la banque Goldman Sachs - et avec eux tous ceux qu'on appelle outre-Atlantique les banksters de Wall Street - agissent bel et bien en prévaricateurs sans foi ni scrupules. (...) Non seulement nous comprenons mieux les stratégies obliques de Goldman Sachs, capable d'encourager - coûteusement - un pays à dissimuler ses comptes puis, aussitôt après, de spéculer sur la déroute de son propre client, quitte à mettre au passage l'euro en difficulté. Les lois peuvent dire ce qu'elles veulent, force est d'admettre qu'un escroc classique n'agit pas différemment. Ainsi donc la première banque des Etats-Unis se comporte-t-elle en pure prédatrice, guidée par cet unique et étrange tropisme, la cupidité, que dénonce le prix Nobel Joseph E. Stiglitz, dans son dernier livre, "le Triomphe de la Cupidité". Il y a pire. On nous rappelle maintenant que les dirigeants - ou anciens dirigeants - de ladite banque ont infiltré la pouvoir politique américain, Maison-Blanche comprise. On en rencontre à la tête de la FED (la Réserve Fédérale), dans le proche entourage de Bill Clinton et, aujourd'hui, dans l'entourage d'Obama lui-même. Cela signifie que la direction de la première puissance du monde est largement subvertie, voire arraisonnée, par des "experts" qu'en d'autres temps on aurait qualifiés de forbans. Vu de loin, le "rêve américain" semble pulvérisé par l'empire de la cupidité.
Songeons aux conséquences lointaines de cet engloutissement moral. Vu de dehors, ce n'est pas seulement l'image de l'Amérique qui s'en trouve atteinte, mais celle de l'Occident tout entier. Pourrions-nous défendre les droits de l'homme, la démocratie, la liberté, le statut de la femme et le reste, si nous sommes perçus comme une anti-civilisation principalement gouvernée par la goinfrerie et le mensonge? Que pèseront les dédaigneuses critiques adressées à la "radicalité politique" d'extrême gauche quand nous serons, pour de bon, dans la main des banquiers? Apercevons-nous le boulevard qu'ouvre durablement aux terroristes la démence avérée d'un système prétendument "universel"? Attendons-nous à ce qu'elle allume un jour ou l'autre, en retour, des violences dont nul ne peut prévoir l'ampleur. Le fondateur de la république tchèque, Tomàs Garrigue Mazayik adressait en 1914 à ses militants l'avertissement suivant: "Pour affronter durablement une tyrannie, commencez par deux principes: ne mentez pas, ne volez pas." Les maîtres du moment - et du monde - font l'inverse. Les sots!" J.Cl.G.

jeudi 11 mars 2010

Kusen: pour un discours politique inspiré du zen


Le 31 janvier 2010, lors d'un kusen, je posais des questions au Maître Zen Roland Yuno Rech sur la possibilité de construire un nouveau discour séconomique et politique à partir de l'enseignement zen

Q : Je m’interroge sur la limite de notre implication dans la société, c’est-à-dire dans la vie de la cité, et donc dans la politique… Ce qui a donné le capitalisme actuel, c’est une philosophie… bon une philosophie, celle des Lumières, je ne suis pas historien… A l’origine d’une idéologie économique, politique, sociale, il y a une philosophie. Et je me demandais, et c’est ce que disait le garçon juste avant, on est dans une situation inédite, où face à des systèmes économiques qui se sont succédés en se cassant la figure, aujourd’hui il n’en reste plus qu’un - c’est le capitalisme, qui est dans la dualité continuelle : opposer les riches aux pauvres, etc. Le zen jusqu’à aujourd’hui ne s’est pas impliqué, n’est pas venu à l’origine d’une idéologie, et d’un système politique, économique, social… Pourquoi ne pas s’impliquer et inventer un système avec tous ses aspects idéologiques, économiques et politiques, pour qu’on favorise une meilleure pratique, pour « s’élever sur ce mât ». En ce moment c’est vraiment un questionnement profond que je me pose…

R : Oui, dans le zen et dans le bouddhisme il y a toujours ces deux polarités entre lesquelles on oscille. La polarité de se tourner vers l’intérieur et de favoriser le développement spirituel par la méditation ; et l’autre polarité c’est de se tourner vers le monde en tant que bodhisattva, de développer une pratique engagée, une pratique sociale, où l'on met en pratique les préceptes, ou paramita, dans le monde social. Jusqu’à maintenant (il y a quarante ans que le zen existe en Europe), l’enseignement a toujours été axé sur la dimension intérieure, sur la pratique. Mais en rappelant que cette pratique doit pouvoir trouver son expression dans le quotidien, dans le social, mais que c’est à chacun de trouver la forme qui lui est la plus judicieuse, et la plus appropriée, justement parce que le zen ne veut pas devenir une idéologie, ne veut pas devenir un système de pensée auquel on devrait se conformer. On a assez souffert du désastre de toutes les idéologies au XXème siècle pour éviter peut-être de recréer une nouvelle idéologie, en tous les cas prendre le temps avant de se lancer dans ce genre d’aventure parce que ça peut facilement tourner mal.

C’est-à-dire qu’à partir du moment où l'on conçoit un système, une idéologie, on enferme les gens dans une manière d’être où "l'on doit être comme ça". On entre dans le domaine de l’utopie : il y a un monde meilleur possible, et nous avons le remède pour accéder à ce monde meilleur possible. On sait faire le bonheur des gens, « on a les clés ». Et donc on va travailler ensemble à construire ce monde utopique, ce lieu du bonheur (c’est ce que veut dire utopique). Le point de départ, c’est très bien. La deuxième étape, c’est qu’il faut des moyens. Et parmi les moyens, il y a des tas de gens qui n’en veulent pas de ton bonheur « zen », alors qu’est-ce que tu fais avec eux ? Et bien ça devient des ennemis. Alors il faut les combattre, parce que c’est soit des ennemis, soit des obstacles. Donc on s’organise. Et pour arriver à fonder une société « zen », bouddhiste, « heureuse », et pratiquant les paramita, etc., il faut prendre le pouvoir, parce que sans prendre le pouvoir on n'y arrive pas. D’abord on va s’organiser en groupe de pression. On va faire des syndicats « zen », des partis « zen », essayer de gagner les élections. Si ça ne suffit pas de se présenter aux élections, on se rend compte qu’on n'y arrivera pas, on restera toujours minoritaires, à la fin on va se dire qu’on va faire la révolution. Puis à la fin on va devenir des terroristes « zen » pour essayer, comme toutes les minorités, de prendre le pouvoir par la terreur (rires). Je caricature volontairement ! … Dès l’instant où l’on s’embarque dans une idéologie qui va proposer une utopie, au départ on part avec de bons sentiments, et très rapidement on se heurte à une question de relation entre les moyens et les fins qui, jusqu’à maintenant (et je ne dis pas qu’on ne peut pas changer ça), a toujours abouti à la perversion de tous les idéaux. Moi si je suis venu au zen, c’est à cause de cette constatation-là. J’avais aussi une pensée de cette nature, plutôt révolutionnaire, à la recherche d’un monde meilleur. Et je me suis rendu compte que tous ces idéaux qui préconisaient de faire la révolution, ou en tout cas d’engager le monde dans une réforme profonde pour aller dans ce sens-là, ont été trahis, ont abouti même à l’extrême opposé de ce qu’ils ont poursuivi. Parce que pour entraîner l’adhésion d’une grande majorité de la population à un tel changement de régime, il faut des moyens. Et ces moyens finissent souvent par primer sur la fin qu’on se propose ; c’est là qu’apparaît la perversion du politique. Et tout pouvoir politique a toujours été perverti jusqu’à maintenant. Même les gens qui sont partis avec de grands idéaux. Je sais que toi, tu entres en politique, tu as peut-être même été élu déjà…

Q : Oui je le suis.

R : Dôgen a voulu faire la même chose. C’est vrai qu’au début quand on commence, on découvre une pratique, une voie de libération, et on a envie de la partager avec tout le monde, on veut pouvoir employer les grands moyens. On veut que ça se généralise, c’est tellement bon qu’il faut que tout le monde en profite! Pour que tout le monde en profite, il faut les grands moyens. Et les grands moyens aboutissent la plupart du temps à pervertir ce que l’on souhaite partager avec les autres. Donc moi, je suis devenu extrêmement prudent avec ça. Je dis simplement que notre œuvre de bodhisattva, c’est à nous-mêmes de montrer l’exemple, c’est à nous-mêmes, de proche en proche, de transmettre une pratique qui aide à changer la mentalité. Mais en douceur, par la politique de la tache d’huile, c’est-à-dire quelque chose qui se répand peu à peu, par contact, par proximité. On fait connaître le zen, puis il y a de plus en plus de gens qui le pratiquent. Plus les gens pratiquent, plus ils changent de mentalité. Plus ils changent de mentalité, plus ça influence les gouvernants, qui doivent aussi s’adapter au fait que la mentalité change, que les gens veulent autre chose, un autre monde, un autre monde possible… Et voilà. Pour l’instant j’en suis là de ma réflexion sur le sujet.

Q : Mais je crois que tu as pu caricaturer comme ça parce que tu pars de l’idéologie comme… (quelque chose de fondamentalement néfaste)

R : je caricature parce que ça fait quarante ans que j’y pense…

Q : La question que je me pose c'est que l'idéologie, c’est un discours. Or, le discours dominant aujourd’hui n’a pas un masque d’idéologie, c’est une idéologie. Quand on te fait croire que les télésurveillances ça va te mettre en sécurité, et que tu ne te poses pas de questions au-delà de ça… C’est un discours, au-delà d’une idéologie. Et la question que je pose, c’est pas d’aller convaincre les gens par la force, et de devenir des Staline du zen, mais c’est de proposer ce discours sur les saintes vérités dont tu parlais tout à l’heure, d’une manière vraiment plus impliquée – qu’elles se retrouvent dans un discours économique, dans un discours social, dans un discours sécuritaire. Parce que sinon le discours dominant, c’est de l’idéologie (elle est soft), c’est de dire : un étranger qui arrive en Corse, forcément, se retrouve rapatrié car ce n'est pas un réfugier mais un clandestin. Et personne ne dit rien. Parce qu’il y a une espèce d’idéologie, qui est étrangement sournoise, et elle se s'imposera aux dépens de tous les espaces de pensée comme le zen je pense, à court ou à moyen terme. C’est pour ça que je me dis : il faudrait peut-être penser à être plus impliqué, à la racine. Proposer un discours écologique, économique, qui soit inspiré profondément du zen.

R : … Participer à l’alter-mondialisme…

Q : Justement pas, c’est un long discours… Justement pas à ça puisque c’est un succédané. Il faut passer dans un autre registre, et pour moi le zen et les saintes vérités dont tu parlais, promouvoir cette non-dualité, pour moi c’est ce qui pourrait indiquer une solution au monde d’aujourd’hui.

R : C’est bien ce que je vous propose de faire, mais je vous propose de le faire dans la sphère de votre propre capacité d’influence, de proche en proche. Je ne vous propose pas de créer une association qui va brandir l’étendard du zen.

Q : Je me demandais pourquoi ça n’a jamais donné, comme une philosophie a donné des systèmes politiques, pourquoi est-ce que le zen ne pourrait pas en donner, n’en donnera pas peut-être ? Question ouverte…

R : Il y a des réflexions. Pas plus tard qu’avant-hier, je parlais de ça avec le nouveau kaikyosokan, le représentant du zen Soto japonais, qui maintenant est un italien. Il se trouve qu’il vient un peu du même horizon que moi au niveau idéologique, dans sa jeunesse… C’est un sujet qui peut redevenir d’actualité. Par exemple j’ai proposé pour le colloque de la Gendronnière qui a lieu tous les ans sur des thèmes qui ont rapport avec la société – le dernier thème, c’était l’individualisme… J’ai proposé que le prochain thème justement, comme ça fait sept-huit ans qu’on est trop concentré sur les cérémonies à mon goût, que le prochain thème soit un thème d’ouverture sur la société (donc ça répond vraiment à ta demande), et que du 1er au 3 octobre à la Gendronnière on évoque le thème de « qu’est ce que le zen peut apporter comme valeur dans le monde moderne, dans la société en crise dans laquelle nous vivons ? » Donc ce souci est là, avec simplement la prudence sur les moyens à utiliser. Je relisais à cette occasion ce que j’avais écrit à la demande de Maître Deshimaru, qui avait fait des kusen sur « zen et civilisation » dans les années 75-76. Il m’avait dit : Vous, vous êtes européen, c’est à vous de compléter ce que j’ai dit, et de faire un bouquin avec ça. J’avais écrit un texte. J’avais écrit un texte en 76 ou 77, je pourrais dire que trente-cinq ans après, je pourrais resigner le même. D’ailleurs je fais une conférence à Nice dans quelques temps sur « zen et civilisation », je vais reprendre justement cet ancien texte, d’il y a trente-cinq ans, et voir ce qui est encore actuel, et ce qui doit être changé. Mais moi j’ai toujours eu ce souci de comment le zen peut aider à résoudre les souffrances du monde, pas seulement à l’intérieur de nous-mêmes, mais aussi à l’intérieur de chacun. C’est aussi la fonction d’un bodhisattva. Je pense simplement que la création d’un mouvement de masse, avec une idéologie, une manière commune de penser, et puis toute une organisation et une structure, c’est dangereux. Parce que l’histoire a montré qu’à chaque fois ça a dévié, c’est ce que je dis depuis le début de ta question. Ca ne veut pas dire que moi je n’ai pas cette préoccupation ni de l’écologie, ni de l’amélioration du mode de vie des êtres entre eux par la pratique de l’enseignement du Bouddha. Je crois qu’on peut le faire par notre exemple, par le rayonnement qu’on peut avoir autour de soi, par des micro-actions dans la sphère où nous nous trouvons, l’action locale. Par exemple, toi si tu es élu dans un conseil municipal, je suppose que c’est le cas, tu peux faire intervenir ta vision « zen » de résoudre les conflits…

Q : Dans mon travail, partout, dans ma famille

R : C’est très bien J’encourage ça, mais je ne vais pas créer « un parti zen ». (rires)

Q : Merci.