dimanche 19 décembre 2010

SOYONS A NOTRE TOUR DES "DISSIDENTS" RÉSOLUS

Dans une récente chronique, Jean-Claude Guillebaud affirme de manière convaincante (Nouvel Obs 2406, p.47) que "le libéralisme ne fait que reproduire les tics de la langue de bois marxiste". Que pensez vous de ce texte?
"Les prosélytes du marché et les cléricaux du capitalisme sursauteraient si on leur disait que leur vision du monde ressemble dorénavant à celle des anciens marxistes. Hors tel est bien le cas. Depuis la chute du communisme, tout s'est passé comme si, en se rigidifiant, le capitalisme avait repris ingénument à son compte, les dogmes controuvés du système vaincu. Bien quelle en fut en tout point ahurissante, cette recopie est passée inaperçue (...)
L'arraisonnement de l'économie politique par les mathématiques a permis de prétendre que la théorie libérale ou le consensus de Washington" étaient rationnels et donc indiscutables. Ce faisant on réinventait à nouveaux frais les dogmes du "socialisme scientifique" dont on mesure rétrospectivement l'absurdité. La vulgate néolibérale telle qu'elle est enseignée dans les écoles de commerce se fonde pourtant sur cette superstition. En réalité, l'économie politique véritable consiste à user des moyens adéquats pour faire aboutir un "projet", subjectif et éthique, c'est à dire démocratiquement choisi. Elle est le contraire d'une science. De même, la référence obsessionnelle à la mondialisation ressuscite, sous une autre appellation, le fameux “sens de l'histoire" auquel les marxistes nous sommaient d'obéir. Dans un cas comme dans l'autre, on convoque une pseudo contrainte "objective" pour éliminer la principale liberté démocratique, celle de la décision.
On psalmodie du même coup une "promesse" mirobolante, celle de la prospérité planétaire à venir. On reprend ainsi, sous une autre forme, les expressions en usage dans l'ancien monde communiste: avenir radieux, lendemains qui chantent et autre turlupinades. Elles faisaient office d'opium du peuple et devaient convaincre ce dernier de consentir aux sacrifices du présent, au nom d'un futur qui reculait à mesure. les néolibéraux nous répètent aujourd'hui que les souffrances sociales sont le prix à payer pour atteindre l'équilibre des comptes publics et la compétitivité, c'est à dire le bonheur. La même remarque s'impose à propos de ce que j'appelle déni du réel ou persévérance diabolique. Dans l'ancienne langue de bois marxiste, on excusait les dysfonctionnements de l'économie centralisée en expliquant que ces économies n'étaient pas assez "communistes". On procède pareillement aujourd'hui: les défaillances, les injustices et les blocages de nos économies prouveraient qu'elle ne sont " pas assez " privatisées et dérèglementées. Même tour de passe passe, même déraison idéologique. Quand à la confiscation du pouvoir d'achat par les plus riches alors même que tous les autres sont abandonnés à leur sort, qu'est ce donc sinon la résurgence du phénomène de la "nomenklatura" qui privilégiait à l'est une infime et arrogante minorité d'apparatchiks ?
Certes, on dira qu'entre ces deux jumeaux historiques une discordance fondamentale demeure: celle de la liberté. Soit. Notons pourtant que le renforcement insidieux sur le Vieux Continent, d'une démocratie autoritaire fondée sur la surveillance, le flicage et la pénalisation réduit peu à peu la différence. Au bout du compte, les dirigeants chinois qui mettent en oeuvre un "vrai " système capitalo-communiste ont compris cette objective - et effarante- convergence. C'est contre elle qu'il faut être à notre tour des "dissidents" résolus."

PRÉVENTION ET SOLIDARITÉ SOCIALE

Notre société impose à chacun un rythme soutenu, parfois même effréné. Ce rythme est particulièrement insupportable pour une partie de la population fragilisée par la maladie ou les accidents de la vie, qui décroche pour bricoler des solutions toujours précaires. L'accès aux soins est de plus en plus difficile et amène à une "automédication" par l'alcool ou les substances en vente libre qui aggravent cette désinsertion. Le travail et le logement, liés dans un cercle vicieux, s'effondrent en même temps, et la perte de sens devient ainsi totale. Le replis qui en résulte est "supportable" quand les conditions extérieures sont assez bonnes, mais dès les premiers froids venus, cette population en souffrance irait à la mort si elle s'obstinait dans son isolement. Les structures d'accueil ne doivent donc pas seulement répondre aux situations d'urgence au moment où la crise, à la fois cause et effet d'une répartition des richesses trop inégale, a accru le nombre d'exclus du système.
Dans le passé, ces défaillances, ces bugs dans le système, étaient prises en charge par la cellule familiale, le quartier, le village... Ces structures tolérantes sont mises à mal par l'individualisme dominant de nos jours et hérité du monde anglo-saxon. Le corps social et ses institutions se doivent de palier aujourd'hui ces dérèglements car, si nous n'y prenons garde, ces brisures dans les marges pourraient devenir des fissures au coeur même de l'édifice social tout entier, secoué profondément par les effets de la mondialisation et du manque de régulations responsables.
La dimension sociale doit donc être investie par une véritable volonté politique. Sa rentabilité n'est pas manifeste et difficilement chiffrable, mais elle s'inscrit dans le temps et dans une logique de construction. Elle respecte les possibilité et les impasses de chacun. C'est pourquoi le social,descendant direct d'un principe de solidarité germanique, est souvent confié aux organismes bénévoles et caritatifs. Il nous faut donc convaincre nos politiques que la prévention et la solidarité sont les seules véritables réponse à apporter dans le social, autant que dans la sécurité, la santé, l'éducation...

jeudi 16 décembre 2010

"S'ILS CHIAIENT DE L'OR LEUR CUL NE LEUR APPARTIENDRAIT PLUS" Proverbe portugais


Avec l'hôpital et la prison, il y a la rue pour accueillir les "fragiles", les "inadaptés", les "révoltés", les "accidentés" que le système crée à la marge de sa logique de production.
Cette population qui subit ou choisit l'exclusion n'est pas assez malade (ou trop malade) pour être traitée par le système médical de plus en plus intéressé par des marchés "juteux", de plus en plus gestionnaire et de moins en mois asilaire. Elle n'est pas assez violente pour être réprimée, voire incarcérée par une prison toujours plus répressive et sans projet de réinsertion une fois la peine accomplie.
L'été, ces humains à la marge sont tolérés. Parasites (sur)vivant des déchets que notre société de sur-consommation rejette, elle sert de repoussoir à ceux qui ne veulent pas suivre le rythme éffréné qui leur est proposé, imposé: produire, consommer, produire... Mais, l'hivers, ils ont l'impudence de venir crever sous nos fenêtres, agrippés à l'air chaud d'une bouche d'aération. Le froid les fait sortir parfois de leur abris de fortune et ils sont accueillis dans nos services sociaux programmés pour tenter de les réinjecter dans le système, dans la norme. Avec condescendance, on les assiste; en juges, on les culpabilise, on les jauge à l'aune de nos seules valeurs morales et marchandes. Mais quand on tend l'oreille, quand on commence à les écouter, à recevoir véritablement leurs histoires singulières, quand ils commencent à donner la seule richesse qui leur reste, leur parole, la culpabilité qui les enchaînait à leurs destins d'exclusion relâche son étreinte mortelle. Mais il faudrait pour cela accepter la fragilité, l'aspect cyclique de leurs parcours. Les structures devraient être, dès lors, adaptées à ce travail au long cour. Mais pour cela il faut accepter d'investir dans la prévention, dans ce qui n'a pas de valeur marchande directe, dans le droit à la différence et l'inévitable de certaines errances... Le hors norme est ce qui vient délimiter le monde social normé. Il faut le respecter, le soutenir, sans souci de rentabilité à court terme. C'est cette générosité, cette acceptation de la différence, ou leur absence, qui donnent une idée du degré d'humanité que nous avons atteint.
S.D.F., clochards, marginaux, inadaptés, fragiles... Ils ne chient pas de l'or, mais une souffrance dont on ne sait que faire. Alors, on détourne le regard tant que cela est possible et la peur nous serre la gorge, nous pousse toujours plus au chacun pour soi. La solidarité doit être considérée comme une affaire d'état, comme la seule digue qui peut contenir la folie dévastatrice d'une cette implacable logique, celle de l'argent roi.